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Fred Forest - Retrospective
Art sociologique - Esthétique de la communication
Exposition Art génératif - Novembre 2000
Exposition Biennale 3000 - Sao Paulo - 2006

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Art génératif, par Louis-José LESTOCART

Début années 80, Gary Hill, artiste vidéo, entame sa recherche sur le langage. En particulier sur l'idée d'une physicalité du langage. Bientôt, grâce au procédé d'une machine nommée Rutt/Etra (scan processor électronique mis au point au début des années 70) qui lui permet d'explorer la nature physique et l'immédiateté du médium, il inaugure un travail sur le temps réel, intrinsèque à la vidéo, où il perçoit un mouvement proche de celui de la pensée.
Tel un flux, une topologie du temps restitué rendus sensibles par le médium. Puis il crée, la notion de métalogue, combinant des narrations multiples, qui bâtit des effets d'arborescences à partir d'un seul ensemble d'images fondant un monde très physique entre réflexion et fiction. Depuis le début des années 90 est né le net.art qui associe pareillement images, associations de mots, de pensées, physicalité du langage, temps réel, réflexion et fiction. Ainsi se fait une nouvelle réalité artistique ayant parfois recours à des notions mathématiques et physiques pointues qui modélisent au mieux, pensée créatrice et intellectuelle, conscience et représentation, tout en se plaçant dans la globalité de perception du champ économique et géopolitique mondial.
Les ouvres du net.art devenant des métaphores, dans le sens où Thomas Kuhn, historien des sciences, parle de métaphore de la pensée : à la fois pensée et "modèle" de la pensée. Ces ouvres sont surtout des sites-avatars de personnes réelles (artistes ou groupement d'artistes) posant et/ou traitant des questions portant sur l'identité, la mémoire, le sentiment, l'histoire de l'art, l'Histoire du monde ou personnelle, l'intime, la dérision, l'existence : " diviseurs communs " de tout être humain.
Travail sur l'identité donc, mais aussi idée d'une présence/absence. Car qui est là ? Personne en fait. D'où cette idée d'avatar, manière commode de (se) poser des questions. Le net.art englobe ainsi plusieurs critères qu'on n'entend pas tous traiter ici. Sur plusieurs sites, ces thèmes de l'identité et de la présence sont symbolisés par un moi indéfinissable, un moi-avatar (nom de l'artiste ou nom du site) qui s'avère souvent de plus en plus complexe et instable. L'image y devient parfois logos (discours/langue) incarné et contient un sens à plusieurs niveaux. Souvent ce qui paraît avec cet avatar, ce n'est pas une personne de chair et de sang, mais le médium lui-même (écran et image numérique). Il finit par y avoir un secret dans cette " incarnation ". Presque eucharistique.
Or cette présence/mystère n'est là aussi qu'un avatar, idéateur néanmoins de la situation proposée (définie par le programme et les invites sur lesquelles on doit cliquer) qui devient similaire aux représentations verbales : descriptive, évolutive, imprévisible. Le trait commun entre ces artistes est cependant que l'alliance image, son, texte, " verbalise " le regard, précipite dans des strates de discours divers correspondant tous initialement à une promesse.
Le fait de cliquer ou non sur l'invite de l'artiste réalisant ou non la promesse. Au départ, on se trouve donc en présence d'" actes de langage " (speech acts) selon John Austin et John Searle, philosophes analytiques du langage, pères de la linguistique performative : " Quand dire c'est faire ". Linguistique qui aboutit peu ou prou à une nouvelle théorie de la représentation dont les formes divergent sans cesse suivant les outils d'affichage utilisés. La particularité formelle de ces " promesses " ou énoncés, est qu'elles donnent lieu à un " acte " spécifique. Ou plutôt toute énonciation est un acte, engendrant presque la culpabilité, et qui ne finit à son tour par n'avoir de sens que sur le trajet de toutes les réponses qu'elle peut recevoir (par le biais des mails des internautes ou des choix qu'ils opèrent eux-mêmes dans le programme).
Ainsi se créent après la " littérature potentielle " de l'Oulipo, un " écrit potentiel ", une imagerie et un sens tout aussi " potentiels ". L'art est-il devenu une espèce en train de muter ? Le net par les flux, les modes rhizomiques qui l'avivent, la mutation radicale d'une création basée sur des liens réels avec l'internaute, suscitent un renouveau complet des méthodes d'analyse. Car bien souvent les observateurs pris dans une Weltanschauung (représentation du monde) par bien des côtés caduque, persistent dans des analyses attendues face à ce qui est vraie " anomalie " dans un paradigme triomphant. On peut entendre " anomalie " dans le sens où Kuhn l'emploie dans la Structure des révolutions scientifiques ; c'est-à-dire l'existence de hasards ou de probabilités émergeant soudain d'un lot de croyances supposées vraies qui jusque-là établissaient un paradigme (comme est une certaine rhétorique artistique toute entière basée sur la résistance et la frustration de certains observateurs) auquel chacun sacrifiait et qui, de ce fait, se retrouve mis en question totalement.
Tous les artistes présentés ici n'appartiennent pas à la même généalogie bien que leurs mises en scène du langage, l'intellectualisation, les fragments autobiographiques et les textes plus ou moins littéraires ou théoriques rendent des rapprochements inévitables entre tous ceux qui initient des jeux de langage en dématérialisant la notion d'ouvre et en organisant l'espace autour d'elle en structures séquentielles, en tenant compte des questions de diffusion et des nouvelles donnes spatio-temporelles et sociales propres au médium. De surcroît, dans cette optique l'idée de langage seul est absurde sans l'idée d'un non-langage, sans l'introduction d'une sorte d'objection non-linguistique permettant implicitement d'autres sens et d'autres idées.
Ce qui reste c'est l'inscription d'un tel art dans ce que Mark Amerika, artiste célèbre du net, appelle le public narrative environnement . Notion à laquelle on pourrait ajouter celle du public non-narrative environnement. Puisque là où on suppose une intention de donner du sens, de faire de l'art donc, il faut aussi augurer ou prendre en compte l'exact contraire. Encore l'idée du métalogue chère à Hill. Selon la théorie de la signification de Jacob von Uexküll, les objets revêtent des connotations pour les sujets regardants tout en bâtissant des paradigmes illusoires. Connotations qui sont toujours prégnantes selon un type de conditionnement à la Pavlov où l'art n'est pas seulement signe donné mais quelque chose qui nécessairement voudrait signifier.
L'art est-il donc bien une espèce en train de muter ? Le net demeure un médium à part entière à la base - c'est presque un truisme - d'une nouvelle phénoménologie de la perception. S'il reste un élément fondamental de cohésion, de médiation, d'intégration - immense banque de données sur des successions d'instants d'une Histoire vécue en temps réel par l'intermédiaire de notre cerveau - il est aussi un organe proprement linguistique qui ne s'adresse à personne en fait - car encore une fois qui parle ou qui écrit ? - si ce n'est au langage lui-même, au fait linguistique et à son évolution. Sans cesse pourtant est remise dans le net l'idée de délimiter le monde dans le langage et de l'y mettre en évidence. Opération d'ailleurs déjà mise en place au XVIIe siècle par la Logique (Arnaud et Nicole) et la Grammaire de Port-Royal (Lancelot et Arnauld) en ayant pour fonction d'" imiter " la pensée, d'en offrir une représentation et au-delà une représentation du monde. Avec toutes les notions de description, de cartographie, d'historiographie et d'analyse qui s'y rattachent. Or ce monde, celui du net, est aussi instable et changeant que le monde quantique et que la Zone de Stalker de Tarkovski.
Dès lors le net, tout en offrant un nouveau champ pour l'épistémologie, ne paraît plus être qu'un véhicule transparent et adéquat pour un questionnement de la subjectivité.

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