New Technologies
(22-29 octobre 2003)
se donne comme conclusion
de la manifestation Artmedia
VIII- De l'esthétique de la communication au Net Art qui s'est tenue à Paris, en Novembre et Décembre 2002.
Le catalogue
que nous publions pour New Technologies est à considérer,
avec les Revues "Art Press" (n.285, décembre 2002) et "Ligeia" (les "actes" d'Artmedia
VIII, n.45/48, juillet/décembre 2003), comme un outil
théorique incontournable pour comprendre un mouvement esthético-artistique
qui, depuis vingt ans, n'a pas épuisé, ni sa vitalité, ni
son actualité.
Ces dernières
années, nous assistons, à la floraison d'une série de "poétiques",
toutes à peu prés technologiques et communicationnelles, qui autoproclament leur originalité
et leur nouveauté : "esthétique de la commutation",
" esthétique relationnelle", "de l'interaction
collective", "de l'interactivité dévoilante",
"de la conscience partagée" etc. Toutes ces formulations
consistent, en réalité, à emprunter, un ou plusieurs concepts
de la théorie générale de l'"esthétique de la communication", et de
ses développements liées au concept de "sublime technologique",
et à les présenter comme s'il s'agissait, là, de quelque
chose de nouveau (?)
La présentation
des cinq artistes de la "vieille Europe", ici,
réunis au Musée de Benevento (Roy
Ascott, Maurizio Bolognini,
Fred Forest, Richard Kriesche,
Mit Mitropoulos) se donne comme une démonstration conclusive
au plan historique. Elle est, sans doute, particulièrement
exemplaire et signifiante du fait de la complexité croisée
et omni-intelligible de leur travaux
respectifs.. Ce qui nous a
conduit, nous-même, de fait, à mettre en scène, dans cette
exposition de Benevento, une philosophie et une esthétique appliquées.
Mario Costa, octobre
2003
MUSEO DEL SANNIO PIAZZA
SANTA SOFIA 82100 BENEVENTO
tel : 00 39 0824
21818
e-maom : sublitec@libero.it
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UN
EXTRAIT DE L'ESSAI DE MARIO COSTA PUBLIE EN OCTOBRE 2OO3
à l'HARMATTAN
"
ESTHETIQUE ET GLOBALISATION INTERNET "
CHAPITRE
IV
POUR
UNE NOUVELLE ESTHETIQUE
Les signes d’un
changement dans le domaine de la production esthétique,
qui à présent sont évidents, commencent en réalité à apparaître
dans quelques composantes fondamentales des avant-gardes
des premières décennies du XXe
siècle.
Je n’en donnerai que quelques exemples qui ont une importance particulière:
- en 1920 Naum
Gabo écrit un “ manifeste ” où se produit un défoncement
de la dimension artistique, et on demande explicitement
que l'esprit scientifique participe de cette dimension:
“ Le fil à plomb dans nos mains […] nous construisons
notre oeuvre […] – écrit-il – comme l’ingénieur construit
les ponts, comme le mathématicien élabore les formules des
orbites ” (Manifeste du réalisme, 1920) ;
- chez Moholy-Nagy,
dont le rôle dans la recherche esthétique devrait être reconsidéré
et évalué à sa juste mesure, la tendance au savoir scientifique
se présente telle une véritable conscience du caractère
de fondement des matériaux et des technologies, et de leur
activation esthétique expérimentale épurée de tout contenu
symbolique ou imaginaire; l’expulsion de Itten du Bauhaus
en 1923, avec l'élimination conséquente de toute inclinaison
mystique et expressionniste de l’école, et la nomination
de Moholy comme directeur du Cours
Préliminaire sont des événements qui marquent l’histoire
de l’expérimentation esthétique occidentale;
- le travail de
Moholy, interrompu en Europe par
le nazisme, reprend aux Etats-Unis et est poursuivi par
György Kepes,
son élève et grand ami: le New Bauhaus, le Chicago
Institute of Design, le Center for Advanced Visual Studies, prennent racine
et répandent universellement un nouveau mode de concevoir
et de procéder dans lequel la techno-science
et l’expérimentation esthétique commencent à confluer et
à se confondre en donnant vie à un type de production fondamentalement
différent de toutes les productions attribuées au domaine
traditionnel de l’artistique.
Ces produits ont été repris et assimilés à l’art pour des raisons
tout à fait extra-esthétiques.
En réalité des mouvements profondément différents ont été
unifiés dans le terme d’“ avant-garde ”, à savoir:
1) les mouvements qui, d'une manière ou
d'une autre, ont poursuivi et tenté
de renouveler la tradition,
2) les mouvements qui ont manifesté une
intention explicite de rompre avec l’art et de le détruire,
et
3) les mouvements qui ont travaillé pour
le dépassement de l’art et pour une reconstitution de l’esthétique
sur la base de l’avènement incontestable de la techno-science.
Tout cela a été exposé de la même manière dans les musées et considéré
comme une œuvre d’art même si ces mouvements ne voulaient
plus rien avoir à faire avec l’art.
Apparemment, il semble que tout cela ait eu lieu à cause de
la manière de fonctionner de la “ conscience esthétique ”
moderne, très bien décrite par Gadamer [1] qui consiste
dans le fait d’abstraire, d’uniformiser et d’abolir les
différences; Gadamer en attribue
la responsabilité au musée mais il oublie de dire que, au
moins à partir de la modernité, le musée lui-même est sollicité
par des pressions extra-esthétiques
et que la véritable force unificatrice est celle du marché
et de l’équivalence des marchandises qui ont, dans tous
les cas, la même essence abstraite que l’argent.
Mais si l’histoire de l’art et celle de la réflexion esthétique
correspondante, avec tout son ensemble de catégories fait
d'“intuition-expression”, de “personnalité
artistique”, de “génialité”, d'“apparition de l’absolu”,
de “sentiment qui se fait image”, de “mise en oeuvre de
la vérité”, de “liberté de l’imaginaire” etc., doivent être
considérées, à mon avis, épuisées et conclues d’un point
de vue théorétique, la même chose ne peut pas être affirmée
pour l’esthétique et pour ses nouveaux modes d’être.
Il faut simplement prendre acte du fait que la dimension de l’art
est trop étroite et inappropriée à l’époque des ordinateurs
et des réseaux, des manipulations génétiques et de l’unification
de l’espèce.
La question que Gabo pose en 1920, “Comment l’art contribue-t-il
à l’époque présente de l’histoire de l’homme?” est encore
extrêmement et dramatiquement actuelle, et il faut y répondre
qu’il n’y contribue pas du tout: depuis des décennies l’art
est un domaine séparé, une grande “machine du vide” qui
simule le “plein” et qui réussit à le vendre grâce au fait
que chacune des composantes qui l’actionnent fait bouger,
et donc justifie et légitime, toutes les autres.
La dimension esthétique de l’époque qui s’ouvre sera de moins en
moins celle de l’art, et s'approchera de plus en plus de
celle, annoncée par les faits que j’ai cités, et que j’ai
commencée à indiquer il y a vingt ans sous le nom de sublime
technologique.
En d’autres mots, je crois que si l’histoire de l’art est historiquement
conclue, je crois aussi que l’expérience esthétique ne peut
pas encore être éliminée de la configuration actuelle de
l’humain et qu’il faut à présent la rechercher dans la mise
en œuvre, au moyen des technologies, d’une nouvelle espèce
de sublimité.
La nouvelle dimension, telle qu’elle apparaît dans le travail des
chercheurs en esthétique, se distingue ou diverge de celle
de la tradition récente ou très récente de l’art dans les
points suivants:
1) production et utilisation, s’il est encore
possible de distinguer ces deux moments, abandonnent l’esprit
et apparaissent comme des faits essentiellement sensoriels.
La concentration intérieure, c’est-à-dire tournée vers les
modifications de la conscience provoquées par l’exposition
à l’art, est remplacée par une concentration toute externe
et extérieure. La sensation et les aspects sensoriels, de
simple enveloppe ou moment préliminaire de l’expérience
artistique, deviennent l’objet même de la recherche: les
données sensibles du produit ne sont plus considérées comme
un intermédiaire négligeable vers des expériences spirituelles
supérieures, comme dans l’idéalisme de Croce, ne sont plus
vues comme des “ facteurs directs ” préliminaires
à dépasser en vue de la véritable expérience esthétique,
comme dans les esthétiques de l’Einfülung [2] . La différence phénoménologique établie par Dewey [3] et par la phénoménologie
sartrienne [4] entre le “ produit
physique ” et l’“objet esthétique ” ne peut plus
être faite, tout simplement parce que l’“objet esthétique”
correspond au “ produit physique ” et se résout
complètement en lui : le corps tout entier ou une des
ses parties ou fonctions spécifiques est technologiquement
introduit dans une situation d’expérience nouvelle qui perturbe
la situation habituelle. Seule l’expérience sensorielle
est analysée et intéresse l’“artiste ” producteur et
c'est dans cette dernière que s’achève et s’épuise l’expérience
esthétique du bénéficiaire. Les chercheurs en esthétique
semblent alors travailler pour analyser et mettre en œuvre
des états et des équilibres sensoriels de perspective.
2) Les productions ne sont plus caractérisées
par le symbolique et par les suggestions nébuleuses qui
en découlent, mais possèdent une essence cognitive indispensable
et claire; l’extranéité traditionnelle à l’art de la conceptualisation
et des procédures techniques et scientifiques d’enquête
disparaît, et le travail esthétique devient une véritable
investigation intellectuelle; la vieille notion de “personnalité
artistique” est remplacée par celle d’un “ sujet épistémologique
à intentionnalité esthétique ”, sujet qui n’est pas
nécessairement singulier et personnel et qui met en oeuvre
des dispositifs où toute distinction entre l’ “ artistique ”,
le “ technique ” et le “ scientifique ”
devient impossible. Les investigations esthétiques et épistémologiques
peuvent donc s'exercer sur les matériaux les plus divers
les appareillages, la perception, la relation son-image, l’espace-temps, la relation entre l’organique et
l’inorganique, les procédures de communication, etc.
3) de l’expression du signifié on passe
à l’activation et à la primauté des signifiants; le “signifié”,
catégorie dominante de l’esthétique au moins à partir de
Hegel, mais mise à mal par notre actuel mode d’être dans
le monde, perd tout attrait et ne fait plus l'objet de la
moindre attention: on reconnaît aux productions technologiques
un coefficient élevé d’“ aséité ” et leur nature
non linguistique: le travail esthétique est ainsi défini
comme une volonté résiduelle de “ mise en forme ”
de signifiants, comme esthétisation de ces derniers ou comme
leur simple activation incontrôlée.
4) On passe de la notion de “ personnalité
artistique ” à celle de “ chercheur esthétique
épistémologique ” ; la vie de l’artiste, ses émotions,
sa vision du monde, ne sont plus des éléments incontournables
de son travail et donc n’intéressent plus personne. Le style
personnel devient une expression dépourvue de sens. Dans
un autre texte, j’ai écrit : “ la loi d’Archimède,
la lampe d’Edison, les équations d’Abel ou la courbe de
Gauss n’ont rien des sujets auxquels ils appartenaient ou
qui les ont conçus, elles ne savent rien de leur vie ou
de leur mort, et pourtant elles leur appartiennent pour
toujours ” [5] ; les produits
du “sublime technologique” ont le même statut théorique
que ceux qu’on vient de rappeler, avec la seule différence
non négligeable qu’ils ont une intentionnalité esthétique.
5) Mais c’est la notion même de sujet et
d’appartenance au singulier qui, dans le sublime technologique,
s’amenuise jusqu’à disparaître; le dépassement du sujet
individuel et la formation d’un hyper-sujet
a lieu de deux façons fondamentales: l’Internet constitue
actuellement un hyper-sujet technologique où toute subjectivité individuelle
ne “ surfe ” pas tant qu'elle ne se “ noie ”
et se dissout, raison pour laquelle il offre une possibilité
inépuisable d’expérimentations visant à faire apparaître
les nouvelles modalités du sublime. Cependant, l’hyper-sujet
mûrit aussi à partir des réseaux : il ne s’agit pas
tant de la banale interactivité homme/machine sur laquelle
on continue de faire beaucoup de bruit, mais de cette formation
qui se dégage de la possibilité de “ partager des projets ”
en raison de leur essence mentale et du fait qu’ils sont
réalisés et s’accomplissent par l’intermédiaire des “ dispositifs
technologiques de contact à distance ”;
6) dans le sublime technologique se produit
aussi une extroversion de l’extériorité: l’expérience esthétique
se déplace de l’intérieur vers l’extérieur, l’intériorité
assume une existence extérieure, non pas au sens où l’esprit
s’objective, comme il est affirmé par exemple dans l’esthétique
de Hartmann [6] , mais au sens
où il se présente comme un état des “ choses ”
objectif et matériel. L’essence spirituelle du produit artistique
est reniée et technologiquement transférée à l’extérieur
par l’intermédiaire des “ interfaces corps-machine ”,
“ machines synesthétiques ”,
et ainsi de suite.
7) finalement, dans le sublime technologique
a lieu un affaiblissement de la “forme”: la forme, catégorie
forte de l’esthétique traditionnelle (histoire des formes,
mise en forme, vie des formes…) se soustrait à la perception
et s’identifie avec le concept ou le schéma de la mise en
œuvre ou, pis encore, cède à l’informe, à l’aléatoire, au
hasard, à l’éphémère, au transitoire, c’est-à-dire à l'arrivée
du flux et de l’événement.
Tout cela semble être le nouveau sens que la recherche esthétique
est en train de prendre sous la poussée des technologies
électroniques et numériques du son, de l’image, de la communication, de la spatialité, de la mémoire…
Mais les résistances
à l’avènement accompli de ce qui est nouveau ne manquent
pas. Personne, au fond, n’aime les changements: non seulement
ils impliquent la remise en discussion de statuts sociaux
et de rôles de pouvoir déjà acquis, mais ils troublent les
équilibres profonds que les personnes ont atteints. Mais
le moment que nous vivons fait date et même ses aspects
dramatiques doivent être vécus dans la conscience de leur
inéluctabilité; mais tout le monde n’y réussit pas, notamment
dans le domaine de la recherche esthétique, ce qui n’est
pas justifiable. Le danger est encore et toujours celui
d’un “ déguisement ”: le système de l’art est
bien disposé à accueillir les nouvelles productions, mais
à condition que ces dernières s’uniformisent à sa logique
vieillie et désuète. Beaucoup d’ “ artistes ”
et de “ critiques ” trouvent confortable d’acquiescer
et, de forcer le nouveau vers une logique qui lui est étrangère
au lieu de forcer les structures à se transformer et à s’adapter
au nouveau en tant que tel. Les dégâts, en synthèse, sont
produits par deux types de procédés:
1) le procédé qui oblige les nouveaux médias
à faire le travail des anciens, et qui montre des poétiques
épuisées mises en œuvre par de nouveaux instruments, et
2) celui qui transfère dans le domaine des
pratiques artistiques traditionnellement modernistes des
suggestions mimétiques tirées de la nouvelle esthétique
et du sublime technologique.
Les exemples de cette double forme de déguisement, d’autant plus
subtil et dangereux qu' il est
théorique, sont connus de tous et je ne les citerai pas.
Les chercheurs esthétiques doivent au contraire s'atteler à un autre
type de travail. Il ne s’agit pas d’assumer des attitudes
anachroniques et improductives contre le marché, il faut
plutôt éviter de se soumettre à ses archaïsmes et le forcer
à se transformer, à acquérir plus de souplesse, à adopter
des critères de mise en valeur et de vente adaptés à ce
que la recherche esthétique la plus significative est en
train de produire.
En Europe, et notamment dans mon pays, tout semble encore baigner
dans une sorte de léthargie théorique/pratique qu'on pourrait,
non sans optimisme, appeler avec Freud “dé-négation”
(Verneinung): on s’obstine
à ne pas vouloir voir. La responsabilité de la théorie est
grande : jusqu’à quand l’esthétique voudra-t-elle continuer
à nous parler d’absolu et de mise en œuvre de la vérité ?
Quand s’apercevra-t-elle que désormais l’art est vraiment
“ une chose du passé ” (Hegel), que nous continuons
à aimer comme un passé mais que le présent est tout autre
chose?
Mais le marché et les institutions de l’art ne représentent qu’un
des territoires à forcer. En effet, la production technologique
offre aux chercheurs en esthétique l’opportunité d’intervenir
à nouveau et avec force dans d’autres domaines beaucoup
plus vitaux de la vie civile : la recherche esthétique
et technologique peut, de ce point de vue, redevenir ce
qu’était l’art à l’époque des cathédrales : l’architecture
et l’urbanisme doivent apprendre à ne pas se passer du chercheur
esthétique et technologique et à demander son intervention
dans leurs conceptions.
[1] Hans Georg Gadamer – Verità e metodo (1960),
Milan, Bompiani,
1983, p. 114/118. Hans Georg Gadamer – Vérité
et méthode (1960), traduction de Etienne Sacre et Paul
Ricœur, Paris, Editions du Seuil, 1976, pp-99/106.
[2] Su di esse cfr.
Victor Basch – Le grandi correnti
dell’estetica tedesca
contemporanea (1912), in Idem
– Due saggi di estetica,
Palermo, Aesthetica,
1998, e Maria Rosaria De Rosa
– Theodor Lipps.
Estetica e critica delle arti,
Napoli, Guida, 1990.
[3] John Dewey –
L’arte come
esperienza (1934), Florence,
La Nuova Italia, 1973, p. 259.
[4] Jean-Paul Sartre
– Immagine e coscienza (1940), Turin, Einaudi, 1948, p. 227/286.
[5] Mario Costa
– Il sublime tecnologico,
Salerne, Edisud, 1990, p. 59 (traduction
française Lausanne, 1994, p. 41, et traduction brésilienne
Sao Paulo, 1995, p. 64/65) maintenant en Idem –
Il sublime tecnologico. Piccolo
trattato di estetica
della tecnologia,
Rome, Castelvecchi, 1998, p.
88.
[6] Nicolai Hsrtmann – Il problema dell’essere spirituale (1933),
Florence, La Nuova Italia,
1971, p. 535/545.