http://www.webnetmuseum.org/html/fr/expo_retr_fredforest/actions/54_fr.htm#text
21.
1999-
LE CENTRE DU MONDE DE FRED FOREST PAR PIERRE RESTANY
Texte publié
à l’occasion d'une création de Fred Forest
à
l’Espace Pierre Cardin en septembre 1999.
TEXTE DE
PRÉSENTATION DE PIERRE RESTANY
Comment parler de " Centre
du Monde " dans l'art d'aujourd'hui ? À moins
de s'en tenir à une Lapalissade : " dans
l'ego hypertrophié de l'artiste, l'art a toujours été
le centre du monde… " En fait le problème
majeur de l'art, qui a toujours été celui de
la communication, a été résolu de façon
définitive à travers l'irrésistible dynamique
des nouvelles technologies de l'information. En s'affranchissant
tout naturellement des supports traditionnels, l'art est devenu
le grand vecteur humaniste de la
communication, tant visuelle
qu'audiovisuelle. On a longtemps cherché à attribuer la crise de la peinture
à celle de l'image peinte. Le problème se pose au niveau de la peinture
à l'huile et il s'y enlise. L'image digitale ou électronique est
en parfaite santé. Elle décrit parfaitement
le monde de l'an 2000 comme la fresque représentait
parfaitement le monde de 1400, l'huile sur toile le monde
de 1600, la photographie impressionniste le monde de la seconde
moitié du XIXe siècle.
L'extraordinaire vitalité
de l'image digitalisée ou de celle qui apparaît dans un CD-Rom, une séquence
vidéo ou un site Internet, est due à sa parfaite adéquation
à la spécificité de son support organique.
L'image vidéo, le photogramme
du CD-Rom, le digital print adhèrent parfaitement à
leur support et à sa finalité communicatrice.
Le processus est parfaitement homogène quel que soit
le lieu de sa mise en œuvre. Quand on pensait autrefois au
centre du monde de l'art, on pensait à l'endroit où
se fabriquaient les plus belles images. Aujourd'hui les belles
images se
produisent partout et leur
potentiel d'auto, transmission interactive est sans limites. Les mauvaises
images sont celles qui ne communiquent pas,
Celles que le scanner définit
mal ou celles qui passent mal sur le Web. Le critère esthétique
est désormais implacablement lié à la
bonne transmission du message. L'art qui ne communique pas
n'est pas l'art.
Devant cette normalisation
éthico-esthétique de la culture globale, le
concept d'esthétique de la communication revêt
toute son ampleur. L'art qui ne communique pas n'est plus
de l'art. Il faut faire confiance au pionnier-poète
de la communication comme Fred Forest pour que soit préservée
tout au long de leur stratégie interrogative, la présence
des valeurs humanistes individuelles sur lesquelles se fonde
le filon créateur et poétique de notre culture
globale. Ce qui est en cause aujourd'hui dans les domaines
qui nous ont été ouverts par la technologie
de pointe ce ne sont pas les phénomènes d'appropriation
du réel mais la valeur spécifique des situations
individuelles qui sont immédiatement transmises. L'image
électronique de la télévision est capable
de nous faire entrer dans un fragment d'espace-temps original
et spécifique par rapport aux potentialités
visuelles proches, voisines ou presque analogues de la photographie
ou du film. La peinture digitale nous familiarise avec une
approche à la fois directe et synthétique du
réel à une sensation identitaire qui est l'expression
d'une approximation analogique. Nous n'avons en aucun cas
l'impression que l'information visuelle qui nous est proposée
est plus pauvre ou plus faible que celle d'un original qui
serait fixé à la peinture à l'huile sur
une toile ou reproduit photo-mécaniquement sur un format
carte postale.
Les stratégies opérationnelles
de l'art sociologique ou de l'esthétique de la communication
sont à l'origine d'une série d'images qui nous
saisissent et nous conquièrent par la sensation de
vérité gratifiante qu'elles nous inspirent.
Les critères du goût changent et influencent
de manière définitive notre pouvoir émotif
et réceptif. Nous passons du beau au vrai et ce critère
décisif ne se réfère plus à un
idéal de beauté qui serait défini péremptoirement
par le " Centre du Monde " mais à
un constat positif et gratifiant d'une vérité
que nous percevons comme universellement diffuse dans notre
expérience du quotidien. Événements,
installations vidéo, performances sont aujourd'hui
produits indistinctement, sans incidence de qualité
ou de priorité hiérarchique, à New York
comme à Kuala Lumpur, à Paris ou Londres comme
à Dakar ou La Havane. Au sein de cet espéranto
planétaire, on ne reconnaît ni centre ni périphérie
mais l'émergence d'une pulsion vitale, riche en kilowattheures
de poésie spontanée, et qui témoigne
de la globalité d'un désir d'expression interactive.
Le Centre du Monde est ainsi partout et nulle part, c'est
à travers les pulsions de ce magma chaotique que l'homme
doit assumer l'intégrité et l'unicité
de son être.
Dans cette globalité
dépourvue de centre, l'homme se doit plus que jamais
" d'être là ". Heidegger
avait raison lorsqu'il s'inquiétait du destin de l'art
dans notre société industrielle. S'il était
encore vivant, il ne croirait certainement pas au Centre du
Monde et il aurait cherché dans l'esthétique
de la communication une clef de lecture (et d'espoir) du magma
chaotique de notre globalité.
Pierre Restany
Paris le 17 juillet 1999
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