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PERFORMANCE/ACTION
VIDÉO
VIDÉO
PORTRAIT D’UN COLLECTIONNEUR
ESPACE
PIERRE CARDIN PARIS, VENTE MAÎTRE BINOCHE
JUIN
1974
CONCEPT
:
En
relation parodique avec le genre convenu et la tradition picturale
du portrait, Fred
Forest propose le " portrait-vidéo "
réalisé en temps réel. Dans le cadre
d’une vente aux enchères d’œuvres d’art
contemporain sous le marteau de Maître Jean-Claude Binoche,
l’œuvre proposée est inscrite au catalogue
sous la dénomination " vidéo portait
d’un collectionneur ", bande Sony 1/2 pouce,
vierge, assortie d’un contrat que l’enchérisseur
devra accepter de respecter. Contrat qui précise que
le vidéo portrait réalisé se composera
des images tournées lors de la vente et d’images
enregistrées par la suite au cours de cinq repas au
cours desquels le collectionneur-acquéreur sera filmé
en plan fixe.
Au
moment de la vente, à l’appel du numéro
désigné au catalogue, l’artiste bondit
caméra vidéo au poing aux côtés
du commissaire-priseur. Ayant fait sauter la protection plastifiée
qui garantit les bandes neuves, après l’avoir
montrée au public présent dans la salle, Fred
Forest avec des gestes étudiés et lents, place
la bande vidéo dans le logement du magnétoscope
portable qu’il porte à l’épaule.
À
ce moment des projecteurs de poursuite éclairent violemment
le public dans l’attente du démarrage des enchères.
L’artiste campé sur ses jambes légèrement
écartées pointe son objectif vers la salle.
La mise à prix de l’œuvre vendue est annoncée
à haute voix par Maître pour un montant de "
zéro franc ". En effet au moment de cette annonce
aucune image n’a été encore enregistrée
et l’œuvre n’existe qu’en devenir…
Dès
qu’un premier amateur lève la main, Fred Forest
appuie alors sur la gâchette de sa caméra. Le
vidéo portrait démarre. Ce premier enchérisseur
acquiert de fait le statut de collectionneur par son geste.
Portrait électronique qui s’effectue en temps
réel. Dès qu’un nouveau candidat au portrait
lève le bras, pour un montant supérieur, la
caméra de Fred Forest quitte le premier enchérisseur
qui perd son statut pour se déplacer sur le deuxième...
Dans le cours des enchères engagées le vidéo
portrait passe ainsi d’une personne à l’autre…
chaque fois remis en cause par l’enchère suivante
et supérieure qui est faite. La caméra de Forest
effectue maintenant des allers-retours entre quelques candidats
qui se disputent âprement le portrait.
Rodolphe
Stadler, galeriste et collectionneur renommé, aura
finalement raison de ses concurrents les plus déterminés
et enlèvera de haute lutte le vidéo-portrait
au statut définitivement consacré. Portait électronique
qui lui coûtera la bagatelle de 2.600 francs… et
cinq repas, conformément au contrat cité au
catalogue. L’action de Forest joue d’une façon
parodique sur la tradition établie du portrait durant
des siècles en peinture. Elle a pour objet de mettre
en évidence (ce que l’artiste voulait aussi démontrer…)
la relation économique concomitante entre l’œuvre
et l’investissement financier qui lui donne finalement
existence. Après le portrait du peintre et celui des
photographes, Fred Forest instaure celui des vidéastes.
Non
sans un soupçon de malice Fred Forest avec le contrat
qu’il impose à l’acquéreur, a soin
de souligner la relation qui existe entre le statut social
valorisant du collectionneur, homme de goût et de culture,
et a contrario ses nécessités bassement physiologiques.
Il est patent que l’acquisition d’une œuvre
se fait aussi pour le statut social qu’elle confère
et qu’en l’occurrence ce que Rodolphe Stadler a
acheté là aussi c’est un événement
dont il s’est trouvé être le centre !
Au-delà
des considérations socio-économiques qui ont
toujours marqué les préoccupations des artistes
de l’art sociologique, cette action suscite non seulement
une réflexion sur la nature de l’œuvre d’art,
son rapport avec l’ego de chacun, sur sa fonction sociale,
mais aussi dans le cas présent sur l’ambiguïté
de notre rapport au temps à partir du moment où
dans le jeu instauré par l’artiste il y a quasi
simultanéité entre sa création, son acquisition
et sa consommation…
BIBLIOGRAPHIE
:
Catalogue
vente, étude de Maître Binoche, Paris 1974.
" Portrait-Vidéo ",
couverture de la revue Artitude, Paris Juin 1974.
" Vidéo-portrait
d’un collectionneur ", Didier Romand, Valeurs
actuelles N°1963,
Paris,
15 juillet 1974.
" Enchères
: Vidéo portrait d’un collectionneur ",
Josse, Le Figaro, Paris 25 juin 1974.
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