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PERFORMANCE
MÉDIA
CÉLÉBRATION
DU PRÉSENT
ART-MEDIA,
THÉÂTRE VERDI, SALERNO, ITALIE
4
MAI 1985
CONCEPT :
Cette
performance est sans doute une des performances les plus significatives
eu égard aux problématiques abordées
et posées par lEsthétique de la communication.
Elle permet, en tout cas, de mettre en relief les conditions
inhérentes au passage dune lesthétique
de lobjet à celles dune esthétique
de la communication (une esthétique de la relation
et du relationnel comme, près de trente ans plus tard,
sen avisera Nicolas Bourriaud
) La performance
" Célébration du Présent "
constitue une suite de " découpages "
temporels et spatiaux, mis en uvre alternativement dans
le déroulement de laction en cours. Des circulations
dobjets " physiques " et dinformations
sonores et visuelles vont sopérer, en allers-retours
successifs, entre les deux lieux physiques, géographiquement
déterminés de la performance. Deux lieux qui
sont, en loccurrence, le Théâtre Verdi
et les Studios de Télécore, distants de cinq
kilomètres environ, reliés lun à
lautre, par des lignes téléphoniques,
des ondes hertziennes, des voies de circulation urbaines et
des moyens de transports divers
Ces différents
vecteurs de communication vont jouer un rôle essentiel
car bien que jamais présents intrinsèquement
dans la performance pour le public, sous forme dune
représentation quelconque, leur présence sera
néanmoins déterminante et essentielle pour leur
imaginaire.
DISPOSITIF :
-
le cadre baroque de la grande salle dapparat du Théâtre
Verdi de Salerne
-
une table monumentale de marbre, sur laquelle est disposé
un récepteur de télévision qui diffuse
en continu le programme de Télécolore.
-
comme partenaire, la chaîne de télévision
Télécolore couvrant la région de Salerne,
qui diffuse durant trente minutes notre programme en direct,
simultanément à la performance qui se déroule
dans le Théâtre Verdi
-
le réseau téléphonique régional
-
un combiné téléphonique de table, en
plastique blanc, permettant une audition amplifiée,
elle-même reprise sur haut-parleurs par lintermédiaire
dune régie son
-
une table basse et une chaise
-
une motocyclette japonaise rouge de 500 cm3
La
performance dure 30 minutes. Elle consiste pour lessentiel
en un aller-retour en moto entre le Théâtre Verdi
et les Studios de la T.V. Télécolore. À
lheure fixée pour le démarrage de la performance,
apparaît dans le programme diffusé par Télécolore
un appareil téléphonique qui simmobilise
sur lécran après un zoom avant de la caméra.
Dans la salle du Théâtre Verdi, Forest sinstalle
derrière une table basse sur laquelle est disposé
un combiné téléphonique. Une table basse
qui fait face à cet écran. Forest avant de sasseoir
a tracé à la craie une ligne continue au sol.
Une ligne symbolique qui relie le téléviseur
à lemplacement quil occupe maintenant.
Lentement, Forest décroche le combiné de téléphone
de son socle et frappe les touches pour lappel dun
correspondant. Deux secondes plus tard, une sonnerie de téléphone
retentit. Dévidence, à la surprise générale,
il sagit du téléphone que lon peut
voir cadré en gros plan sur lécran du
programme que Télécolore diffuse
Forest
raccroche et renouvelle son geste, ce qui fait comprendre,
au public présent, la relation de cause à effet.
Il est seul, bien sûr, à connaître ce numéro
dappel confidentiel. Après plusieurs manuvres
du genre, quand cela est bien clair pour la majorité
des personnes présentes, Fred Forest quitte la table.
Le combiné non raccroché sur son socle laisse
retentir dune façon permanente la sonnerie amplifiée.
Sur la partie inférieure de lécran une
annonce défilante, libellée en langue italienne,
informe : " Un téléphone sonne,
patientez, un homme va entrer et décrocher ! "
Forest a sauté maintenant derrière un motard
casqué qui emprunte dans un vrombissement assourdissant
les escaliers. La voie la plus courte qui mène vers
la sortie du rez-de-chaussée. Le public médusé,
dans un premier temps choqué par tout le fracas induit,
vient de saisir lumineusement que Forest a filé tout
droit vers les studios de la télévision
afin de répondre à lappel. Un appel quil
a lui-même lancé ! Autrement dit, nous
aurons successivement : Forest dun côté,
Forest au milieu, Forest de lautre côté,
Forest à lextrémité du vecteur
de la circulation des informations, Forest, enfin, applaudi
et de retour au Théâtre Verdi ! Lapparition,
entre-temps, de Forest de " lautre côté ",
décrochant le téléphone sur lécran
cathodique, procurant un double mouvement, à la fois
de soulagement et
de profonde satisfaction. Le plaisir
esthétique vu côté du public, nest-il
pas fait, lui-même, de ce soupçon de frustration,
de cette attente, de ce besoin dêtre rassuré
et de vérifier des hypothèses, qui trouvent
soudain libération dans un indice ultime qui lui est
offert en quelque sorte sur un plateau ?
À
travers cette performance, Fred Forest cherche à nous
communiquer une certaine " perception "
sensible du temps et de lespace dans la relation complexe
quentretiennent ces deux concepts quand ils sont liés
aux NTIC. Une relation dautant plus complexe quelle
met en jeu, ici, des médias et des situations qui shybrident,
se superposent, se croisent, à travers un système
que lartiste élabore et sapplique à
mettre en uvre. Et qui, chargé de cette intentionnalité,
vise à convoquer notre plaisir et sa conscience, en
sefforçant d" inventer "
des formes inédites de REPRÉSENTATION. Des formes
qui puissent, le cas échéant et dans le meilleur
cas, nous rendre compte de notre " relation au monde ",
dans le contexte et lenvironnement qui sont aujourdhui
les nôtres, ici et maintenant.
Présents
dans le public : Robert Adrian, Roy Ascott, Eric Gidney,
Nartan Karczmar, Tom Klinkowstein, Mit Mitropoulos, Jean-Marc
Philippe, Derrick de Kerckhove, René Berger, Abraham
Moles.
BIBLIOGRAPHIE :
" Célébration du Présent ",
+ - 0, Bruxelles, 1986.
Catalogue dArt-Media, 1985.
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